Dans la cinématographie industrielle traditionnelle, les personnages de terroriste ou d'agent oriental «arabe» sont toujours opposés à l'agent secret occidental (souvent joué par un acteur de première catégorie). Cette configuration est récursive depuis les événements de 2001: l'ennemi a un nouveau visage et ce n'est plus celui du soviétique depuis que la guerre froide est terminée. Ces représentations dans l'espionnage et les films d'action sont toujours associées à l'imagerie d'un lieu de vacances, ou d'un complexe militaire qui ressemble à un hôtel de villégiature (en raison de considérations financières liées à la production).
Paradoxalement, dans les médias, les questions politiques sur le pouvoir dans les pays arabes tiennent rarement compte de la notion d'espionnage, malgré cette frénésie populaire pour les informations «secrètes». Cette culture du secret a donné naissance à des organes tels que Wikileaks et Mediapart, et à la fascination pour Internet, ainsi que pour ses desseins cachés. Cette fascination doit venir du fait qu'aujourd'hui, notre monde est en constante réévaluation de la notion de puissance et des images qui y sont liées. Les hiérarchies traditionnelles ont été totalement abolies.
Le résultat de tout cela est que la vidéo sur YouTube d'un chat jouant du piano peut devenir la vidéo la plus vue sur la terre, et par la même occasion, le matériel d'espionnage de base devient de plus en plus accessible. Nous pouvons maintenant acheter facilement le matériel que nous avions l'habitude de voir dans les films: caméras thermiques, dispositif de repérage, etc.
Avec cette problématique à l'esprit, la vidéo que je prépare va osciller entre le documentaire et le film. Dans le premier cas, je vais travailler avec des acteurs jouant les touristes américains en Algérie, en leur demandant de suivre un itinéraire précis autour de la ville. Par la suite, je vais demander à un groupe de 3 jeunes Algériens équipés de matériel d'espionnage (caméras dans le bouton de leur chemise, enregistreurs dans leurs lunettes de soleil...) d'espionner les touristes américains.
Le film sera composé de séquences de conversations et d'analyse entre les apprentis-espions. Ces conversations seront naturellement orientées vers la géopolitique et basées sur les lieux qu'ils visiteront. De plus, je vais demander aux apprentis espions d'utiliser leurs analyses pour trouver un motif de justification de leurs actes d'espionnage.
Le film inclura également des séquences d'actions inspirées des techniques cinématographiques de films d'Hollywood. Certes, toutes ces directions ne seront pas couronnées de succès. Les apprentis espions vont échouer à plusieurs reprises et d'autres conversations émergeront de ces échecs.
L'objectif principal de ce projet de film est d'examiner et de réfléchir sur les paranoïas sociales et politiques qui existent aujourd'hui, et aussi d'inverser les représentations classiques de l'espionnage. Pour ce projet, l'Arabe n'est plus la proie.
À propos de l'artiste
Neil Beloufa est né en 1985, il vit et travaille à Paris. Il a étudié à l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts et à l'Ecole nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris, ainsi qu'à la Cooper Union School à New York. Sa pratique artistique exploite divers médias tels que la vidéo, la sculpture, les objets récupérés et des images trouvées qui interagissent pour former des installations complexes. Le travail de Beloufa a été exposé à Balice Hertling, à Paris, Kunsthauds Glaris, New Museum de New York, Galleria Zero de Milan, au Palais de Tokyo à Paris et au Hammer Museum de Los Angeles, entre autres scènes internationales.