Être “coincé” chez soi pourrait être un luxe. En mars de chaque année, je rentre dans mon village natal. Je suis rentré le 5 mars dans mon village, là où “il n'y a rien”. Dans notre maison il n’y a pas de livres. Internet, l’eau potable et l’électricité coupent souvent. Mon vieil ordi insiste pour être tout le temps branché quand il y a de l’électricité. Quand il n’y en a pas, il n’y a pas d’ordi aussi. Dans mes vieilles affaires j’ai trouvé l’outil qu’il me faut, une vieille Mini Dv, cinq cassettes, le câble FireWire et un chargeur de batterie. Après maints essais, je me suis retrouvé dans un rythme où tout s’accorde, le rythme de la vie villageoise, de l’alimentation en électricité et des mouvements quotidiens des gens dans le village. Les gens du village sont ma famille, ici tout le monde est parent à tout le monde.Ils ne sont pas nombreux, ils se voient chaque jour et leurs sujets de discussions deviennent de plus en plus rares. Il y a un silence qui se pose, qui s’accorde avec le rythme. En DV, couleur du sable et de vent, en 4:3, format de détresse et en voix-off, discours d’isolement, le travail sera loin des infos, d’actualités et de ce qui se passe. L’Homme était toujours un malade. En de très courts plans fixes, séparées par du noir, du silence, mais aussi des cris le rythme imitera à la fois les battements de cœur et les lentes pas des villageois. Ces mêmes villageois, de cette famille seront audibles en off. Leurs gestes, leurs traits du visage, leurs regards seront filmés telles les branches d’arbres, les marguerites, les chèvres, les fourmis et le vent. Les gens de mon village, de ma famille ne parlent pas beaucoup, ce n’est pas des gens qui posent trop de questions, parler pour eux n’a jamais été nécessaire.Depuis quelques semaines, mes cousins passent le temps à garder les troupeaux de la famille. Mon frère, Sadeg, un salafiste ex détenu à la prison de La Mornaguia, mon cousin germain, Rachid, directeur d’une agence Meublatex à Tataouine, Majed, chef d’une agence d'assurance à Djerba, Farouk, vendeur dans un magasin de pêche à Djerba aussi et Ali, un infirmier qui n’a pas pu rejoindre son boulot au Qatar à cause de la fermeture des aéroports, accompagnent chaque jour les troupeaux. C’est leur nouvelle occupation. Leur confinement en plein campagne. La certitude que leurs paroles et leurs mots s’accorderont avec le rythme “organique” du village m’excite. Leurs peur de la mort, leur irrespect à ce que je fais aussi. Au final, je n’ai rien d’autre à faire. Leurs communs, c’est leurs rythme. Leurs sons et leurs voix sont pareils, leurs regards aussi. Moi, j’en fais partie, la Mini DV aussi.
Lien youtube : https://www.youtube.com/watch?v=VhPE8ZQDzQ4